Le vieux fond de «la terre qui ne ment pas»

Affaire Dreyfus, Vichy : les propos du député s’inscrivent dans une tradition.

publié le 15 février 2011 à 0h00
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Dominique Strauss-Kahn ne peut-il représenter la France parce qu'il est directeur du FMI, parce qu'il vit à l'étranger ou parce qu'il est juif ? Les trois, répond une certaine tradition française dont Christian Jacob se fait, qu'il le veuille ou non, l'écho. Elle est résumée par un discours de Xavier Vallat, en 1936, à propos du chef du gouvernement Léon Blum : «Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un Juif.» Xavier Vallat sera commissaire général aux questions juives sous Vichy.

Impur. Le thème de la bourgeoisie juive cosmopolite, inapte à incarner le terroir mais propre à le trahir, est vieux comme l'histoire du pays. Il prend forme idéologique au XIXe siècle. L'affaire Dreyfus, où les antidreyfusards font du Juif l'ennemi intérieur, celui qui atteint l'identité et l'ordre français, lui donne une puissance qui va se développer, surtout à droite (mais pas seulement), pour culminer à Vichy. Le Juif devient pour les nationalistes antisémites la figure qui s'oppose à la France éternelle, éternellement immobile, produit de son terroir et de ses classiques. Il est l'être impur face à l'essence des choses. Comme dit Christian Jacob, «ce n'est pas l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle qu'on aime bien, celle à laquelle je suis attaché».

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Bourgeoisie. François Mitterrand connaissait ce vieux fond-là : sa campagne victorieuse de 1981 s'appuie sur l'image d'un village avec clocher illustrée par le fameux slogan «La force tranquille». Cette conception essentialiste de l'identité s'exprime, entre autres, chez Charles Maurras vieillissant et chez Maurice Barrès, celui du Roman de l'énergie nationale. On trouve dans le deuxième tome (1904-1908) de ses Cahiers (1), publié ces jours-ci, des phrases que Christian Jacob ne renierait pas : «La France se crée elle-même, elle n'a que faire des collaborateurs du dehors; elle pousse son instinct jusqu'à la réflexion, elle le proclame.» Le 25 juin 1940, Pétain relance ce vieux discours lorsqu'il déclare aux Français : «Je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas.» «Elle» s'oppose naturellement à ceux qui mentent : politiciens de la IIIe République, intellectuels dégénérés, bientôt les Juifs.

Comme l'Histoire est une farce, le discours du Maréchal a été écrit par l'un d'eux : Emmanuel Berl. Le même écrivain, en 1968, répondant à François Mauriac, écrit un merveilleux texte sur l'antisémitisme larvé de la bourgeoisie française. Il note : «Beaucoup plus inquiétante que les plaidoyers pro-arabes et les réquisitoires anti-israéliens me paraît l'idée que les Juifs français sont peu ou prou américains.» C'est ce que Christian Jacob, à propos de Dominique Strauss-Kahn, semble «peu ou prou» suggérer.

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(1) Editions des Equateurs.