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Claude Jaquier cultive patiemment ses mauvaises herbes à Goumoëns

Claude Jaquier multiplie des semences pour jachères et prairies fleuries dans ses champs entourant le village de Goumoens-la-Ville dans le Gros-de-Vaud. Photo: Christian Brun

«Aujourd'hui encore, des collègues me disent parfois que je suis fou!» Planté au milieu de son champ de bleuets, Claude Jaquier se marre. Il faut effectivement être un peu fou pour cultiver… des mauvaises herbes. «Des indésirables», précise l'agriculteur. Les plantes qu'il fait pousser sur une petite moitié de son domaine ne sont en effet pas destinées à nourrir des humains ou des animaux. Elles sont là pour se multiplier et produire des graines, qui seront ensuite incorporées à des mélanges pour jachères ou pour prairies fleuries.

Cette activité quasi unique en Suisse romande est en plus née d'une manière totalement improbable. «En 1999, avec mon frangin, on a eu l'idée d'organiser une fête autour des sports aériens comme le parapente et le parachutisme. Pour l'occasion, on a aussi voulu réaliser un logo Red Bull géant dans un champ.» L'agriculteur est donc allé acheter des graines de coquelicots pour faire pousser deux taureaux rouges et de moutarde pour le rond jaune en arrière-plan. Mais quand il a découvert que la graine de coquelicot se vend 200 francs le kilo, il n'a pu se résoudre à tout jeter après la manifestation. «J'ai récolté les graines et les ai mises sécher sur le sol du hangar. Quand je les ai proposées au grossiste, il m'a dit non. Mais il m'a rappelé quelques mois plus tard parce qu'il était en rupture de stock.» La machine était lancée.

Exigences techniques

Aujourd'hui cet entrepreneur aimant tant «essayer des combines» consacre 7 des 18 hectares de son domaine à la culture de semences: bleuet, coquelicot, fromental (une graminée) ou encore esparcette colorent donc les champs des environs de Goumoëns-la-Ville. Si ce créneau est dés­ormais le plus rentable du domaine, il est aussi le plus exigeant techniquement.

«Par définition, ces plantes ne supportent ni les engrais ni les herbicides. Une année, j'ai eu 2 hectares de coquelicots totalement inutilisables parce qu'ils étaient mélangés avec de la capselle bourse à pasteur, une indésirable dont les graines ont exactement le même diamètre que celles des coquelicots.»

En plus, les plantes cultivées se ressèment naturellement, «salissant» les champs. «La gestion des dicotylédones et des vivaces est le grand challenge de ce type de culture, tout comme celui des cultures bios, d'ailleurs. Les seules interventions possibles et efficaces sont le désherbage manuel, mécanique et le faux semis.» Cette technique consiste à laisser germer le champ spontanément avant de herser en surface deux fois consécutivement avant de semer les plantes que l'on veut faire pousser.

La récolte des graines nécessite aussi des connaissances ne s'acquérant qu'avec l'expérience. «Contrairement aux grandes cultures traditionnelles, où les champs sont très uniformes et donc mûrs en une fois, ces cultures vivent plusieurs stades en même temps. Une plante peut avoir déjà relâché des graines, en porter des matures et d'autres qui doivent encore mûrir. Pour l'agriculteur, tout est donc question de proportion et de choix du timing.» Et les subtilités ne sont pas terminées puisque, contrairement aux épis de blé ou d'avoine qui sèchent d'une pièce, les bleuets ou le fromental sèchent par le haut. «Cela signifie que la plante comporte encore une partie verte au moment de la récolte, ce qui a tendance à bourrer les batteuses.»

Pick-up à tapis salvateur

Pourtant, à force d'énervements et d'échecs, Claude Jaquier a trouvé la bonne méthode. «Je fauche et je laisse sécher deux ou trois jours à même le sol avant de récolter.» Et surtout, depuis trois ans, il dispose d'une machine miracle: un pick-up à tapis. Cet accessoire conçu par une entreprise française se fixe devant la moissonneuse et permet de récolter rapidement et efficacement.

Pour la suite du processus, Claude Jaquier s'est débrouillé lui-même: il a transformé une ancienne remorque en séchoir. «Les graines sont très fragiles. Et s'il ne faut pas les taper à la récolte, il faut aussi les sécher délicatement, donc lentement.» Grâce à son sens de la bricole, une souffleuse se charge désormais de ce travail, ce qui est tout de même plus pratique que de retourner à la main pendant plusieurs jours des plantes épandues sur un sol en béton.

Par ses spécificités, la culture des «mauvaises herbes» a poussé Claude Jaquier vers la culture bio. «Mais ce sont les courges qui m'ont fait sauter le pas», précise l'agriculteur, qui avait appris son métier «dans l'euphorie des machines et des pesticides permettant de doubler les rendements en divisant le travail par deux». Comme les semences, les courges poussent sans pesticide. «Mais je ne pouvais pas les labelliser, puisque j'utilisais des produits sur mes grandes cultures. Plutôt que de continuer à expliquer aux clients, j'ai décidé de passer tout le domaine en bio.» Au milieu de son champ de bleuets, Claude Jaquier n'en est que plus heureux. «Écoute le bourdonnement des abeilles. Regarde tous ces papillons. C'est quand même sympa, non?»

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Les délicats plantes pour jachère comme ce brome dressé (Bromus erectus) sont fauchés, puis sèchent trois jours...

... à même le sol avant d'être collectées grâce à ce pickup à tapis installé devant la batteuse. Les graines sont ensuite...

... lentement séchées dans cette ancienne remorque équipée de souffleuses par Claude Jaquier.

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