Environnement

Que sont ces "méga-bassines" qui soulèvent la contestation en France ? De tels projets sont-ils prévus en Belgique ?

Sur cette photo prise le 25 mars 2023, des manifestants, entourés de gaz lacrymogènes, se heurtent aux gendarmes lors d’une manifestation contre la construction d’une nouvelle réserve d’eau destinée à l’irrigation agricole, à Sainte-Soline, dans le centre

© AFP/Yohan Bonnet

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Par Victor de Thier

Les méga-bassines agitent l’opinion publique en France. Vendues comme une "condition de la survie des exploitations agricoles face à la menace de sécheresses" par ses défenseurs et comme un "accaparement de l’eau par l’agro-industrie" par ses opposants, le projet divise. 

Le samedi 25 mars, une manifestation contre le projet d’implantation d’une méga-bassine à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, s’est transformée en véritable champ de bataille avec les forces de l’ordre. Bilan : 200 blessés chez les manifestants, dont 40 grièvement touchés, et 47 gendarmes atteints.

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Mais que sont réellement ces méga-bassines ? Pourquoi créent-elles autant la controverse ? Et de tels projets sont-ils prévus en Belgique ?

Une méga-bassine, c’est quoi ?

Les bassines – ou réserves de substitution – sont d’immenses retenues d’eau destinées à l’irrigation agricole. En France, elles ont une surface moyenne de 8 hectares. Le terme "méga-bassine" est employé par les opposants pour qualifier les plus imposants de ces ouvrages, certains pouvant accueillir l’équivalent de 250 piscines olympiques.

L’idée de ce système est de pouvoir stocker l’eau afin de permettre au secteur agricole de faire face aux épisodes de sécheresse qui sont amenés à se multiplier.

Le projet de Sainte-Soline est loin d’être une première en France. Pour informer les citoyens, les opposants aux bassines ont mis en ligne une carte participative des bassines existantes ou en préparation dans le pays. Plus d’une centaine y est référencée, ainsi que des retenues d’eau destinées à créer de la neige artificielle dans les Alpes.

Carte des bassines existantes ou en préparation partout en France :

Les bassines existantes sont représentées par des points bleu foncé et celles en projet en bleu clair, orange ou rouge, selon leur état d’avancement.
Les bassines existantes sont représentées par des points bleu foncé et celles en projet en bleu clair, orange ou rouge, selon leur état d’avancement.
Les bassines existantes sont représentées par des points bleu foncé et celles en projet en bleu clair, orange ou rouge, selon leur état d’avancement.

Une fausse solution ?

Si le stockage de l’eau paraît a priori une bonne idée – le Giec en mentionne d’ailleurs la nécessité dans son dernier rapport – le système de méga-bassine semble contre-productif car, contrairement à ce que l’on pourrait croire en voyant ces bassins exposés à l’air libre, ceux-ci ne se remplissent pas d’eau de pluie mais en allant majoritairement pomper dans les nappes phréatiques… ce qui a pour effet d’assécher davantage les sols et empirer la situation sur le long terme.

"Ils profitent en fait d’une faille dans la réglementation", explique Sébastien Doutreloup, climatologue et topoclimatologue au département de géographie de l’Université de Liège. "Étant donné qu’il est interdit de puiser l’eau des nappes phréatiques pour l’agriculture en été, ils vont puiser cette eau pendant l’hiver puis la stocker en surface. C'est une totale ineptie car il y a d’office une perte d’eau en surface due à l’évaporation".

Les autorités, elles, mettent en avant la baisse d’eau prélevée en été et la nécessité de pouvoir continuer à produire sur le sol français. "Cette eau est un bien commun mais l’alimentation est aussi un bien commun", se justifie le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau sur les antennes de BFMTV, ajoutant que "c’est un projet dans lequel les agriculteurs s’engagent à utiliser moins de produits phytosanitaires et à utiliser moins d’eau."

Mais pour les opposants, ces arguments ne passent pas. Pour eux, c’est tout le modèle agricole français qui doit être revu. Des alternatives sont avancées pour conserver l’eau sans passer par des bassines, comme la reforestation, le remplacement des cultures gourmandes en eau ou encore le retour des prairies. Les scientifiques prônent également l’irrigation au goutte-à-goutte afin d’économiser cette précieuse denrée.

Une personne tient une pancarte devant la préfecture des Deux-Sèvres lors d’une manifestation de soutien aux victimes de Sainte-Soline, le 30 mars 2023.
Une personne tient une pancarte devant la préfecture des Deux-Sèvres lors d’une manifestation de soutien aux victimes de Sainte-Soline, le 30 mars 2023. © AFP

Une eau pour certains au détriment d’autres

Au-delà de cet aspect, ce sont aussi les bénéficiaires de l’eau stockée qui font grincer des dents.

Si ces bassines sont généralement financées en majorité par des fonds publics, tous les agriculteurs ne profiteront pas de cette eau. Elle sera en priorité destinée aux gros céréaliers liés à l’agro-industrie, dont les cultures très gourmandes en eau servent à leur tour à nourrir l’élevage intensif. Une aberration pour les militants écologistes, alors que les scientifiques appellent au retour d’une agriculture plus raisonnée.

"Il faut savoir qu’en France les surfaces irriguées représentent à peu près 10% de la surface agricole", expliquait récemment sur France Info Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne en France. "Cela veut dire que ces projets de bassines sont bénéficiaires pour une minorité d’agriculteurs. Il y a un accaparement de l’eau par cette minorité-là."

Vue de la retenue d'eau de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), destinée à l'irrigation agricole le 7 octobre 2022.
Vue de la retenue d'eau de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), destinée à l'irrigation agricole le 7 octobre 2022. © AFP

Et en Belgique ?

On le sait, la Belgique pratique elle aussi l’agriculture intensive. C'est plus particulièrement le cas en Flandre, où le bétail requiert beaucoup de nourriture… et donc beaucoup d’eau. La Belgique pourrait-elle à son tour voir fleurir des bassines sur son territoire ?

Tant du côté du fédéral que de la Flandre et de la Wallonie, on assure ne pas être au courant de tels projets et l’on met au contraire en avant les alternatives mises en place par les agriculteurs, ainsi que les fonds débloqués par les autorités pour optimiser l’utilisation de l’eau.

"À Ardooie, plusieurs agriculteurs se sont unis avec un producteur de fruits et légumes surgelés afin de récupérer les eaux usées utilisées pour laver les légumes afin d'arroser leur culture. C’est un cycle continu. À Torhout, les sociétés d’une zone industrielle ont installé un système de captage d’eau de pluie sur leur toiture pour arroser les cultures avoisinantes", illustre Bart Merckaert du département de l’Agriculture et de la Pêche du gouvernement flamand.

Du côté wallon, même si l’on conçoit être moins avancé que la Flandre dans ce domaine, on souligne les efforts fournis ces dernières années. "D’importants moyens ont été débloqués pour améliorer la réutilisation d’eau et augmenter les structures de rétention", déclare Alice Cousin, chargée de mission du projet Res'eau au sein de la Fédération wallonne de l’Agriculture. "Même si l’irrigation augmente chez les agriculteurs à cause de l'augmentation des sécheresses, plusieurs projets sont en phase de développement pour minimiser les pertes d'eau."

Des différences et des similitudes avec la France

Dès lors comment expliquer cette prolifération de bassines en France, contrairement à la Belgique ? Pour Sébastien Doutreloup, la différence est double.

"Tout d’abord, nous ne connaissons pas encore les mêmes sécheresses que chez eux. Leurs nappes phréatiques sont presque vides à la sortie de l’hiver, ce qui n’est pas le cas chez nous. Cette situation risque néanmoins d’empirer ici aussi étant donné le réchauffement climatique", pointe-t-il.

La deuxième différence réside dans le type de cultures : "Nous utilisons beaucoup moins de cultures irriguées. Les Français continuent à planter du maïs – qui demande beaucoup d’eau – dans des régions sèches afin de nourrir le bétail. C’est une ineptie", constate-t-il.

Une habitude que nous partageons en revanche avec nos voisins est l’utilisation excessive d’insecticides et de pesticides sur nos cultures, remarque le chercheur. "Ces produits imperméabilisent les sols et empêchent l’eau de rentrer. Cela diminue donc le remplissage des nappes phréatiques", détaille Sébastien Doutreloup.

Si des projets de méga-bassines ne sont pas (encore) sur la table en Belgique, le réchauffement climatique va inévitablement contraindre aussi notre agriculture à évoluer. Reste à voir dans quel sens…

Sur le même sujet : extrait du JT du 26/03/2023

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